Et si nous regardions le monde
comme s’il était composé de Qi, 氣 ?
par Michael Puett, Professeur d’histoire et d’anthropologie chinoise à l’Université d’Harvard
” Quant à l’essence de toutes choses, c’est d’elle que procède la vie.
En bas, elle engendre les cinq céréales.
En haut, elle devient constellation.
Lorsqu’elle flotte entre Ciel et Terre, nous l’appelons revenants et esprits; lorsqu’elle s’amasse dans la poitrine d’un humain, nous appelons cette personne un saint.
La notion d’énergie divine n’avait rien d’inhabituel dans l’Antiquité. On la retrouve dans différentes cultures d’Eurasie : en Inde, avec la notion de prana, ou « souffle », en Grèce avec le pneuma, traduit par « souffle de vie », « âme » ou « esprit ». De nos jours, beaucoup de gens considèrent avec scepticisme l’idée que la sensation de vitalité procéderait d’une énergie divine. Mais le qi est une métaphore utile pour désigner les conditions d’une sensation de vitalité accrue, et nous pouvons nous en inspirer sans croire nécessairement à son existence. Il nous suffit d’évoquer ces énergies par le truchement d’un comme si : que signifie agir et vivre comme si nous cultivions le qi ? Et si nous faisons nôtre une telle pratique, en quoi cela transformera-t-il notre quotidien ? Que deviendrait notre vie si nous admettons que ces énergies qi constituent effectivement la réalité ultime ?
Notre conception du monde, d’ordinaire, est dualiste : dieu ou homme, matière ou énergie, esprit ou corps, nous concevons ces différents domaines comme autant d’opposés. L’Entraînement intérieur nous propose à l’inverse une vision moniste’ du monde : toutes les choses et tous les êtres, y compris les êtres humains, sont constitués d’un unique ingrédient : le qi. Tout ce qui est, qu’il s’agisse de l’esprit, du corps, de la matière, de l’me, de la Terre, des gens, des animaux, de l’air, est donc composé d’une seule et même substance.
Mais bien que le qi soit partout présent, il revêt une infinité de formes plus ou moins pures. Les roches, la Terre et toutes les choses inanimées présentes dans le cosmos se composent d’une espèce de gi inférieure et rudimentaire que l’on peut dénommer « qi trouble ».
En s’affinant de plus en plus, ce qi devient « essence vitale », souffle de vie. Ce qui distingue cette « essence » de tout le reste, c’est qu’on ne la rencontre que chez les êtres vivants. Cette force créatrice de vie est présente chez les plantes et les animaux.
Enfin, sous sa forme la plus éthérée et la plus affinée, le qi est « divin ». Cette sorte de qi est si hautement énergisée qu’elle exerce une inflituence tangible sur ce qui l’entoure. Ce Qi est l’Esprit lui-même. L’Esprit est davantage qu’une force créatrice de vie, c’est à lui que les êtres vivants doivent d’être conscients.
Une plante possède un qi générateur de vie, une essence vitale, mais elle ne peut en aucun cas receler un esprit, être habitée par le divin. Jamais elle ne sera capable de penser et de transformer le monde. Elle doit se contenter d’exister en son sein. Les esprits, au contraire, étant composés de qi divin, sont extrêmement vivants et vibrants. Doués d’une acuité supérieure, ils perçoivent le monde avec une clarté sans défaut. C’est cette lucidité et cette acuité perceptive qui leur permettent d’imaginer des méthodes capables de le transformer.
Et qu’en est-il de nous ? De quel type d’énergie sommes-nous composés ? L’être humain combine qi trouble (terrestre) et qi divin (céleste). En tant que créatures de chair nous sommes constitués de qi grossier mais en tant qu’êtres vivants, comme les plantes, nous abritons l’essence vitale. À la différence des plantes, toutefois, nous recelons en nous une étincelle d’esprit : nous possédons une conscience, ce qui implique que chacun de nous a aussi le pouvoir de transformer ce monde. Nous pouvons ramasser quelque chose et le transporter dans l’espace, frapper dans un ballon, ouvrir une porte. Nous possédons donc un potentiel semblable à celui des esprits.” La Voie, Pockett 2019 p 160